mercredi 9 avril 2008
pour une troisième voie politique
Notre objectif est de présenter un diagnostic de ce que nous sommes en tant que mouvement pluriel à travers une évaluation indépendante des influences qui nous conduisent à un avenir incertain. Afin de proposer des orientations conformes à nos aspirations progressistes, l’approche méthodique de cette contribution veut cristalliser les dimensions de l’action politique et proposer des alternatives qui prennent en compte les capacités réelles du mouvement. Le choix de la rupture, qui s’inscrit dans une logique globale de transformation, est-il cohérent avec une approche traditionaliste du pouvoir et une utilisation optimale de notre position d’avant – garde ? Le choix de la participation, qui s’inscrit dans une logique post – démocratique, est – il en rapport avec l’objectif de transformation ? Pouvons nous intégrer une lecture uniforme de l’histoire du mouvement dans l’analyse de la conjoncture actuelle ? Serions – nous contraints à une approche binaire qui permet au choix politique d’osciller entre la rupture et la participation ? Répondre à ces questions se veut la proposition d’une voie politique nouvelle qui amènera à la reprise du processus démocratique et entraînera à fortiori la refondation du mouvement socialiste. Avant d’envisager cette refondation et de penser la troisième voie politique il est nécessaire de faire une sélection des temporalités historiques qui marquent la gauche marocaine dans sa relation avec le pouvoir et la population. Les instants conséquents qui ont influencé le Maroc moderne portent une forte charge idéologique et politique qui explique l’évolution du mouvement en trois périodes importantes : Celle de la création, caractérisée par le passage de la participation à la rupture ; de l’opposition, abandonnant la révolution pour adopter la ligne de la réforme ; et du rapprochement avec le pouvoir dont la traduction va de l’entrisme à la participation. Une évolution qui traduit la mutation de la gauche par rapport à ses choix politiques. Etant la matrice du mouvement socialiste, l’USFP a rompu avec l’«option révolutionnaire» et clarifié ses références par rapport aux tendances idéologiques qui cohabitaient au sein du parti. Cette démarche lui a permit de se libérer du piège qui l’enfermait entre le socialisme occidental, nourri par la sociale démocratie ou le marxisme – léninisme, et le socialisme panarabe. Le cap sur une lutte démocratique suite au congrès extraordinaire de 1975 voulait permettre aux masses populaires et aux élites économiques et intellectuelles de s’unir autour d’un projet socialiste accompagné d’un apaisement de la relation entre la gauche et le régime. Mais le passage de la révolution à la réforme intervient dans un contexte marqué par l’ouverture anarchique de l’économie, l’instabilité du cours des matières premières, l’appauvrissement des classes moyennes et une psychologie collective noyée dans l’existentialisme religieux. L’USFP évoluera entre la tentation de la participation, la réalité fondamentaliste et le spectre de l’usure et de la disparition. Cette réalité imposera les tractations qui ont coûté à l’USFP son effritement au service d’une fonction politique électoraliste qui subie la réalité d’un environnement peu rompu à l’idée démocratique. L’argument central de l’adaptation de l’USFP à cette réalité sera celui de la nécessité de participer au gouvernement pour faire avancer le processus démocratique et répondre à la crise socioéconomique. Le choix de la participation d’une partie du mouvement socialiste sera à la fois la conclusion d’une période de l’histoire et le commencement d’un cycle politique nouveau. Les indicateurs de développement et d’évolution démocratique ont prouvé que l’improvisation de la participation gouvernementale a mené à l’impasse politique et consacré les mouvements fondamentalistes en ébullition depuis la fin des années 60. Seules des avancées dépassant la pluralité du mouvement socialiste atténueront cette réalité par la présence d’un espace de liberté et la sensibilisation vis à vis du devoir de mémoire. Mais l’état d’avancement de la démocratie ne peut se contenter de ces aspects alors que les fondements de notre nation sont encore confrontés à l’anomie et au féodalisme. Le choix de la participation ne s’est pas doté d’un positionnement politique d’envergure comme le fut le passage de « l’option révolutionnaire » à la « stratégie de la lutte démocratique ». Cette improvisation a laissé dans l’expectative la mouvance progressiste, étouffé la « confiance » nécessaire à l’engagement et donc esquissé la nouvelle donne nationale : Une vie politique partagée entre la monarchie et le fondamentalisme religieux qui enfonce le discrédit de la gauche notamment par les manifestations de son auto - destruction. Cette réalité fut accélérée par la manipulation des mouvements islamistes dans le combat contre la gauche, par la floraison des branches théologiques dans les universités, par l’influence saoudienne sur la structuration du culte officiel, par la réalité de l’exercice du pouvoir, par le recul doctrinal de la gauche et le manque de courage intellectuel vis-à-vis du fondamentalisme religieux, par la substitution des mouvements islamistes à l’Etat dans le domaine social, par la situation interne des partis de gauche participants ou non aux gouvernements et enfin par les retombées de la déstabilisation du socialisme international. Nous pouvons aussi observer l’existence d’une opinion publique, dont nous nions ou sous-estimons l’existence, qui adhère au fondamentalisme religieux et boycotte l’opération électorale (boycott effectif ou votes corrompus). Ce constat confirme l’existence d’une conscience collective, malgré son apparence non structurée et démissionnaire, qui défie la suprématie des valeurs matérialistes et la marginalisation socioéconomique. Cette position vis-à-vis de la politique est une réaction à une illusion d’inexistence de la nation et donc à l’inutilité de s’investir pour le commun. Cette posture présente un caractère de résignation qui réagit à l’échec du développement et alimente une culture de «l’illégitimité» de toute structure productive pour dénoncer implicitement l’ordre établi. Ce serait autant d’indices qui peuvent être perçus comme l’expression de la désobéissance civile, ou «la Qawma», prévue par les principaux mouvements fondamentalistes, et donc une allégeance de fait au panislamisme. Cette réalité illustre à fortiori l’échec de la traduction binaire de «la lutte démocratique» qui s’est manifesté par une stratégie de rupture ou un choix de participation. Les deux interprétations se sont construites sur l’argument de «blocage» et ont conduit à une crise au sein du camp démocratique en provoquant une fracture au niveau de l’espoir populaire. La conjoncture impose donc une réflexion de fond quant aux moyens de parvenir au rétablissement de la confiance entre la démocratie et la population et mettre le mouvement socialiste sur une troisième voie politique. Devant cette réalité complexe et les enseignements historiques qui cadrent cette analyse, la «stratégie de la lutte démocratique» continue d’être la solution. Entre son interprétation radicale de rupture et sa traduction réductrice de participation, une troisième voie pourrait être conforme à son esprit initial et répondre aux enjeux contemporains. Une troisième voie qui dicte l’adoption d’une politique de vérité par la demande préalable d’un droit d’inventaire. Les différents choix du mouvement socialiste ont participé à la transition de la monarchie et l’instauration d’une marge de libertés publiques qui doivent aboutir à la transition démocratique définitive. Par conséquent, convaincus de la priorité du développement politique par rapport à la croissance économique, le mouvement socialiste, pluriel et saturé par des choix politiques extrêmes, devra prendre la voie de sa refondation politique, morale et organisationnelle. L’idéologie socialiste, de sa lecture sociale-démocrate à son analyse scientifique ou réelle en passant par son actualisation alter mondialiste ou sociale libérale, ne saurait être l’élément fondateur de l’autocritique que mène le mouvement. Le manque de confiance en la démocratie, en la gauche, en la nation, n’est pas du au fait que le mouvement soit d’inspiration «socialiste», mais ce sont les conséquences de constats d’immoralités qu’ont secrété certains exercices publiques aux yeux d’une population fondamentalement conservatrice. Pouvons nous alors accepter l’évidence d’un avortement de la lutte démocratique ? Pouvons nous croire à l’actualisation de cette forme de lutte dans la rupture avec son interprétation binaire ? Avons-nous les moyens de trouver la troisième voie politique et continuer d’agir sur l’évolution du Maroc ? Pourrions nous résister à la déviance de la nation vers un fondamentalisme primaire et une érosion annoncée ? Ces interrogations s’inscrivent dans un contexte marqué par l'accélération de l'offensive du féodalisme et du fondamentalisme, d'autant plus que la gauche ne lui oppose plus de résistance et d'alternatives crédibles. La droite, réactionnaire et islamiste, est parvenue à proposer une nouvelle hégémonie culturelle, assurant sa domination par la conjugaison du laisser-faire économique avec les nouvelles constructions identitaires supranationales. Ce modèle politique, qui s’appuie sur la technocratie en tant que négation de l’outil idéologique pour la résolution des crises, se retrouve aussi dans le contenu des programmes de gauche. Cette ligne a mené à l’adhésion implicite du mouvement socialiste au féodalisme en tant qu’expression malsaine du modèle libéral. Elle impose la remise en cause du processus démocratique en amalgamant l’avancée vers la sociale - démocratie avec l’acceptation d’une réalité socioéconomique de type archaïque. A titre d’exemple, quant à cette adhésion inconditionnelle, nous pouvons citer l’abandon des revendications démocratiques en échange de vagues notions de «méthodologie démocratique» et de «respect des mœurs constitutionnels». Un choix qui n’appuie que l’institutionnalisation de l’ordre établi considérant que ce sont des pratiques coutumières qui sont en dehors de la notion d’Etat de droit. Autant d’indices de résignation qui risquent de condamner le pays au recul démocratique ou au basculement fondamentaliste. Alors que la population fut marquée par un espoir d’émancipation, la conduite d’une partie de la gauche au pouvoir n’a pas empêché les forces réactionnaires d’accélérer le rythme d'implantation de leurs idéologie dans une réalité qui pèse sur la capacité de résistance des populations. Par conséquent, l'enjeu pour le salariat, les classes moyennes et la bourgeoisie nationaliste, c'est que l'union des socialistes puisse rassembler autour d'un projet fédérateur sur les questions de pouvoirs, de démocratie économique, de laïcité et de modernité. Cette unité devra accentuer les valeurs socialistes dans notre héritage civilisationnel et défendre une orientation identitaire qui réconcilie le citoyen avec la chose publique. Conforter cette implication ne peut se faire que par la construction de la démocratie dont la réalisation dépend prioritairement de l’union de ceux qui l’ont porté et continueront de la défendre. L'union des gauches est donc indispensable et se doit de construire le clivage représentatif des sensibilités populaires et imposer la transparence politique pour faire renaître la confiance en la nation. Liés par des intérêts de classe ou une cohérence idéologique, aussi bien le féodalisme que le fondamentalisme peuvent se structurer en pôles politiques conséquents. Cela interpelle aussi bien le courant libéral moderne, qui devra se structurer autour d’une élite politique et intellectuelle, que le mouvement socialiste qui devra dépasser son apparence de déclin pour prouver sa capacité de transformation. Ainsi la gauche a un rôle historique de résistance face au modèle féodal triomphant et au fondamentalisme religieux qui se positionne en solution finale. La dynamique unitaire devra dépasser la tentation quantitative qui amène à la tolérance des forces islamistes ou des tendances féodales, car ce ne sont que les sécrétions de considérations numériques qui ont biaisé un processus d’unification qualitatif fondé sur des thématiques de mobilisation et un socle historique commun. Une fois enclenchée, cette dynamique tend naturellement vers l’homogénéité à travers la mise en œuvre d’une alternance générationnelle qui rompt avec les formules de «gauche plurielle» réduite entre appareils sans intervention populaire ni consistance politique. Les socialistes doivent donc contribuer à créer au plus vite les conditions d'un rassemblement pour construire la polarisation, instaurer le clivage idéologique et le respect de la volonté populaire, et trouver les ressorts d'une action de transformation sociale durable, constante et résolue. Nos fondements idéologiques, qui vont de la question locale à la considération globale, devront rassembler la population notamment par un travail de proximité qui s’acquière des moyens d’actions humains, financiers et institutionnels et des connexions organisationnelles nécessaires. La gauche devra assumer une innovation permanente et un activisme intellectuel continu sur les interrogations du moment, notamment la confrontation du fondamentalisme religieux, la contribution doctrinale à l’identité nationale et l’implication dans les questions territoriales et continentales. Ce seront autant de résultats qui redonnerons au camp démocratique la posture nécessaire pour revendiquer la réforme institutionnelle et les mécanismes réels de développement et de modernité. Ce seront les éléments qui rendront à la dialectique progressiste son aura afin de résister à l’obscurantisme, fonder la nation sur la base d’un ordre démocratique et alimenter la nouvelle voie politique sans céder au participationnisme ni être tenté par la rupture.
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