dimanche 7 février 2010

Le Maroc relèvera t il le défi de l’Etat régional ?

Le débat sur l’autonomie régionale, amenant à la création de la Commission Consultative sur la Régionalisation par le Roi Mohammed VI, illustre la dynamique à laquelle doivent répondre des politiques privilégiant les objectifs de paix et de développement dans un pays marqué par une croissance à double vitesse. Cet écrit tente d’éclairer sur les transformations qui mènent à la régionalisation, comme outil de réaménagement et de démocratisation de l’Etat, et sur sa place dans les interactions locales, nationales et globales d’un point de vue juridique et politique. Cette analyse érige l’autonomie du Sahara, une région contestée au pouvoir central, en dynamo de cette régionalisation que compte entamer le Maroc.
L’autonomie, une solution à l’inertie territoriale: L’espace est marqué par le triomphe du marché et l’universalisation de la gouvernance en tant que ressorts d’une globalisation dominée par la thématique de la «concurrence». Le territoire ne se cantonne plus dans le marquage des frontières, considérant que la mondialisation privilégie la notion de pertinence territoriale qui n’est plus décrétée par le «fait du prince» mais par des réalités diverses. Cette réalité envisage l’optimisation économique et la pacification politique au sein d’un territoire dont l’avenir s’inscrit dans une logique de compétition, d’homogénéité culturelle, de respect du processus historique qui consolide les «bassins de vie» et les biens de nécessités. Un avenir dans lequel l’Etat tente d’équilibrer entre souveraineté nationale et autonomie régionale. Considérant qu’il n’y a pas d’échelle optimale pour le développement, on a fait appel au «projet» qui rassemble autour d’une coopération entre politique et économique afin de dégager les contours d’une «région de fait» qui prépare l’avènement de la «région de droit». Par exemple Tanger Med participe à la reconfiguration de la méditerranée en propulsant l’aménagement du nord du Maroc. Le flux humain et les infrastructures aideront à l’autonomisation de cette région dotée d’une forte spécificité culturelle, qui se doit d’intégrer les populations à des ordres homogènes, de rendre possible la complémentarité des ressources et raccorder les espaces enclavés, de s’affranchir des velléités sécessionnistes. Ainsi le Maroc a formulé une proposition d’autonomie pour le Sahara auprès de l’ONU afin de résoudre un conflit qui se rapproche de quarante années d’existence. Cette voie constitue le moteur de la concrétisation de la région dans l’agenda décisionnel, permettant au Maroc de passer d’un Etat-national à un Etat régional. La question du Sahara commence à partir de sa colonisation par l’Espagne en 1884. Le Maroc en a réclamé la souveraineté depuis 1956. L’Algérie, soutenant son indépendance, veut négocier ses frontières avec le Maroc qui, appuyé par l’avis consultatif de la CIJ de 1974, récupère son territoire. Le Polisario naitra et proclamera la RASD, un Etat non reconnu qui conteste militairement l’administration marocaine du Sahara. Une ébauche de solution a vu le jour par l’acceptation de l’autodétermination. Face aux difficultés du recensement et à la notion même du «peuple sahraoui», l’idée de l’autonomie à l’intérieur du Maroc s’est dégagée en 2001, reprise de la proposition castillane de 1974 qui visait l’autonomie du Sahara au sein de l’Espagne. Cette voie affrontera l’opposition de l’Algérie et du Polisario et sera reformulée par le Maroc en 2007. Elle permettra une négociation entre le Maroc et le Polisario, même si selon les opposants à la proposition marocaine le principe d’autodétermination est une simple option parmi deux autres (indépendance/annexion). Toutefois l’autonomie reste une manifestation de l’autodétermination du moment qu’elle est soumise à référendum sous le couvert du droit International et bénéficie d’un historicisme qui reconnait la région bien avant le protectorat. Le seuil régional sera mis en œuvre en 1971 comme périmètre prospectif d’un développement économique pensé au centre de l’Etat qui ne donne aucun pouvoir aux collectivités régionales. L’autonomie sera acceptée suite au discours du Roi Hassan II en 1984 et la loi du 02/04/1997, inspirée des réformes constitutionnelles de 1992 et 1996, qui hissera la région d’une instance consultative à une institution dotée de prérogatives.
Les termes du Modus Operandi: Dans l’autonomie il est question de garantir l’indépendance de la région relativement au régime actuel de la décentralisation par une réforme constitutionnelle elle-même soumise à l’opération référendaire. C’est une garantie qui protégera le devenir de l’autonomie et déterminera la confiance entre les parties par le contenu de la proposition qui rendra plus attractive la position marocaine. Dans ce sens le point 5 de la proposition stipule que «les populations géreront démocratiquement leurs affaires à travers des organes législatifs, exécutifs et judiciaires». La question du corps électoral sera encore posée pour l’élection du parlement régional. Afin de rendre la proposition convaincante, la garantie d’une représentation effective des sahraouis devra être envisagée aussi bien au niveau du référendum que des institutions régionales, même si les populations vivantes actuellement au Sahara rendent minoritaires les «ethnies» concernées par l’autonomie. Ensuite la relation entre l’institution monarchique, le gouvernement régional et les instances nationales est à concevoir au niveau des pouvoirs et des domaines de compétences. Le pouvoir judiciaire, en tant que garant de la convention et de la justice, participera à la protection de l’autonomie par un contrôle des pouvoirs à posteriori et l’instauration d’une Haute Cour Régionale. Indépendamment des compétences qui seront attribuées à la région, les relations extérieures éclaireront sur le degré d’avancement de l’autonomie. La région sera donc amenée à formuler des avis quant à l’action extérieure de l’Etat et animer des «coopérations décentralisées» comme en témoigne celle du Souss avec les Canaries ou Tanger Tétouan avec la région PACA française. Enfin l’ensemble de ces compétences ne peut s’exprimer sans autonomie financière, assurée par le Maroc qui veut «doter le Sahara de ressources financières nécessaires à son développement». Il s’agira de fonds propres, dont l’impôt et les contributions établies par la région, et de ressources perçues par l’Etat sur la base du principe de solidarité nationale. L’autonomie financière n’aura de sens qu’accompagnée d’une autonomie exécutive au niveau des dépenses et implicitement d’un pouvoir administratif indépendant du centre.
Les contours nationaux du processus de régionalisation: L’autonomie se différencie de l’indépendance par la relation entre la région et le centre qui en représente la limite, ou que la première soit un élément puissant de l’identité nationale et de la nature du régime comme en témoigne la place du Sahara au Maroc. Ainsi le pouvoir régional est il limité dans le sens où l’intérêt de la région ne doit pas empiéter sur l’unité nationale et les compétences étatiques? Au niveau politique cette limite préserve le retour d’une configuration tribale qui avait perturbé l’Etat en l’exposant aux velléités coloniales et qui se perpétue aujourd’hui dans l’apparat moderniste des institutions marocaines. En droit elle répond aussi bien au principe d’égalité des régions qu’elle ne pose la question du principe de subsidiarité. Dépendamment des modèles de régionalisation la priorité sera attribuée soit à la norme ou à la décision la plus adaptée à l’intérêt régional, soit à l’intérêt national qui justifiera l’intervention de l’Etat pour notamment préserver ses compétences. L’Etat régional sera tenté d’élaborer des lois qui permettent un droit de regard du pouvoir central excluant l’approche dogmatique de la notion de «compétence exclusive de la région autonome». Considérant que certains points, comme l’état d’exception ou le pouvoir de dissolution, peuvent avoir une incidence sur l’existence de l’Etat régional, ces contrôles, et par conséquent la constitution, devront être au centre des négociations afin d’écarter la méfiance des parties adverses. La logique de la tutelle devrait donc céder la place à une approche partenariale dans les rapports entre le centre et la région, notamment par des contrats Etat/région qui sont expérimentés en droit français.

C’est à l’intérieur de ces engagements et de ces difficultés que le Maroc trouvera la voie de sa mutation en un Etat régional démocratique via un modèle d’autonomie spécifique qui permet l’émergence d’un territoire économiquement pertinent et politiquement viable. On assistera à l’émergence d’un nouveau droit des territoires qui écarte les mécanismes traditionnels d’aménagement généralement soumis à des considérations ethniques ou tribales. Le Maroc gagnerai à renforcer son territoire au sein de l’ordre concurrentiel mondial et permettre le démarrage du Maghreb en tant que force continentale au sud de la méditerranée. Il se heurte toutefois à ses contradictions, à savoir l’amalgame entre pragmatisme d’Etat, patriotisme et chauvinisme, qui hypothèque la mise en œuvre d’un projet qui inciterait les parties à y adhérer.

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