mardi 19 août 2008
Le Monde Musulman se dirige-t-il vers un « ordre islamique » ?
Contrairement à l’occident, c’est la religion, ciment sociologique d’une population cosmopolite, qui édifie l’architecture de l’Etat-nation en territoire musulman (dar al islam). Révolutionnaire par rapport aux circonstances de son avènement, l’Islam élabore une approche dualiste dans l’organisation des croyants : Une relation verticale entre les populations et le créateur, basée sur la communion et la justice, et un rapport horizontal, fondé sur le «droit des gens», entre les composantes de la société. Ce schéma devient un modèle d’organisation multidimensionnel qui dissout le communautarisme dans la «oumma». Confronté à la colonisation, le «monde musulman» a connu les premières tensions d’ordre philosophique qui, en représentant les indicateurs d’une bonne santé civilisationnelle, provoquent un dédoublement entre l’Etat-nation et le modèle impérial. L’origine de ce conflit est la réaction d’une identité à l’égard des «valeurs de l’occupant», considérant que les mouvements de libération se sont appuyés sur l’Islam à défaut de s’inscrire dans un processus idéologique historicisé. Ainsi l’élaboration d’une synthèse doctrinale associant les influences modernistes est restée sensible à l’idée transnationale sans atténuer les contradictions de l’organisation sociale. Au niveau de l’opinion, acquise au slogan de «l’indépendance d’abord», aussi bien le marxisme que le fondamentalisme, les branches philosophiques que les disciplines de théologie, ont eu des incidences sur la classe intellectuelle. Au niveau de la gouvernance, «l’Etat moderne» est confronté à l’ordre musulman, considérant que l’influence légale-rationelle au sein des consciences collectives se confronte aux espaces traditionnels débarrassés de la pensée musulmane. L’affrontement entre deux paradigmes amène à la conclusion suivante : L’illégitimité de l’«Etat occidental» aux yeux des populations et la non-conformité des structures coutumières à l’ordre politique mondial ont secrété une sclérose qui a nourri l’idée de l’échec des indépendances. Le contexte bipolaire, qui a imposé la distinction entre régimes socialistes et pro-occidentaux, a fait de l’abdication des armées arabes face à Israël, de l’intervention soviétique en Afghanistan, de la révolution iranienne ou même du génocide bosniaque, autant d’évènements qui ont accentué la crise existentielle musulmane qui s’alimente d’une transposition émotionnelle sur la réalité du sous développement. Ainsi le nationalisme arabe se transforme en «panislamisme» dans le territoire musulman, espace méditerranéen historique qui s’étend de l’Atlantique à l’Iran. Dans cette délimitation, la prise en compte des connexions théologiques, politiques et armées est nécessaire à la compréhension de ce processus. Selon chacun des pays arabes, au pouvoir comme à l’opposition, les mouvements fondamentalistes, courroies de transmission du «nouvel ordre musulman», furent appuyés par l’ «occident» qui assumait une «guerre contre le communisme» : Le Hamas contre le Fatah ou le FPLP, les Talibans contre l’armée rouge, les frères musulmans contre Nasser, la «jeunesse islamiste», organisation fondatrice du Parti Justice et Développement, contre la gauche marocaine etc. Les guerres du Golfe, caractérisant le début du nouvel ordre mondial et la chute du communisme, incarnent une seconde «Nakssa» et l’ébauche d’une structuration de la nébuleuse islamiste qui bénéficie d’un héritage logistique et relationnel légué par les USA. Le conflit qui plaçait le marché et le nucléaire au centre de la priorité s’est transformé en guerre énergétique déclarée sur un fond de tension religieuse. Le passage du bipolarisme à la globalisation a donc incité le fondamentalisme à se structurer sous forme d’une organisation transnationale à caractère polycentrique, véhiculant un horizon particulièrement complexe : Procédant à un renversement par l’adoption de l’anti-américanisme comme instrument d’agitation de l’opinion et en s’appropriant la légitimité religieuse, le fondamentalisme investit l’espace du sous développement en se hissant au rang «d’entité politique» et en provoquant certains bouleversements importants : Alors que toute transformation politique a eu son «fief révolutionnaire» (le Yenan de Mao, Médine du Prophète Mohammed), le fondamentalisme affiche un éclatement prémédité qui met en cause les canons de la stratégie politique et militaire. Ayant tenté le régicide contre les USA à travers les symboles de sa puissance, le fondamentalisme veut donc réagir au nouvel ordre mondial par un «ordre islamique» au sud de la méditerranée. La standardisation de l’opinion musulmane, la capacité d’action subversive, les connexions financières, tribales et politiques avec certains régimes arabes, démontrent qu’il y a une forme d’allégeance à la poussée islamiste comme issue illusoire à la réalité socio-économique et politique du monde musulman. Par conséquent, l’acceptation du «panislamisme» parmi la population pourrait amener à l’effritement progressif de la légitimité des modèles étatiques en voie de démocratisation. Dans un éternel essai de «maîtriser» le texte et d’aliéner le droit de l’Islam à s’ouvrir à la science, le fondamentalisme construit une conscience qui favorise la rupture de la religion avec sa dimension interprétative et l’oriente vers un formalisme moralisateur. Les positions politiques des régimes en place, relativement à l’équilibre entre modernité et tradition, au processus démocratique, aux causes arabes, aux sécrétions institutionnelles liées à la corruption et à la crise des valeurs, font que les notions «d’unité musulmane» mettent ces régimes devant leurs responsabilités. Pris entre le processus unitaire de l’Europe et l’union méditerranéenne qui récupère l’entrée de la Turquie dans le «vieux continent», les Etats musulmans paraissent en décalage par rapport aux conjonctures continentale et mondiale. L’inaction des institutions régionales et l’incapacité de libérer les espaces économiquement pertinents (Maghreb, Monde Arabe) appuie le fondamentalisme dans la mise en place des conditions de construction de l’«ordre islamique» en s’organisant sous une forme d’action binaire : D’une part des groupuscules prônant le «salafisme» comme idéologie et mobile d’action ; et d’autres part des partis et des associations, n’ayant pas de liens apparents avec le terrorisme, qui agissent dans les marges démocratiques mises en œuvre par les courants modernistes. Le fondamentalisme pénètre ainsi les institutions, la jeunesse, les espaces de solidarité en préservant son outil de pression armé face aux idéologies concurrentes (démocratie, état de droit, socialisme, libéralisme). Le front légaliste du fondamentalisme étouffe ainsi l’évolution des pays arabes vers l’«Etat de droit», notamment par la provocation de réactions policières de l’Etat, mais essentiellement par la présentation de l’Islam à l’examen de l’urne. Préparant les conditions de radicalisation de la société, l’opération électorale devient un référendum qui met à l’épreuve l’adhésion du «peuple musulman» à sa propre religion, dont le rejet serait considéré comme une hérésie. Le fait que le wahhabisme a pu intégrer le culte officiel, que les courants progressistes connaissent un recul doctrinal et que les mouvements fondamentalistes se substituent au pouvoir dans plusieurs secteurs de la vie publique, le «monde musulman» compose ainsi avec le risque d’une réaction violente à l’égard du sous-développement par une population peu rompue à l’idée démocratique. Cette « bombe à retardement » est accompagnée d’une idéologie de la résignation qui s’inscrit dans l’objectif de dénoncer l’ordre établi par une forme de désobéissance civile (Qawma dans la terminologie fondamentaliste). Alors que la population fut marquée par un espoir d’émancipation suite aux indépendances, l’islamisme politique, même en perte de vitesse dans le rapport de domination international, a pu accélérer l'adhésion collective au fondamentalisme dans une réalité qui pèse sur la capacité de résistance des populations, et qui place la thèse du «nouvel ordre islamique» dans une approche prospective.
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